Un chantier en Birmanie
C’est en plein pays Karen que je retrouve Natacha et Anne-Cécile pour les suivre sur le chantier de leur futur hôtel au pied du mont Zwegabin. Elles ne sont pas toutes seules sur ce projet, il y a aussi Jean-Michel, Ko Myo, et deux investisseurs suisses.
Il faut dire que la région de Hpa-an manque cruellement d’infrastructure touristique. Coup de bol, la frontière avec la Thaïlande voisine s’est ouverte l’an passé alors que le projet était déjà bien parti ! Nul doute que leur petit lodge va connaître un joli succès.
Je pars avec les filles et François le chef de chantier, menuisier de profession et en Birmanie depuis plus de 20 ans. Nous retrouvons Ko Myo ainsi que deux autres birmanes de l’équipe qui assurent l’administratif et le suivi de chantier au quotidien, et on peut dire qu’elles ne lâchent rien !
Le terrain est magnifique, en plein milieu des reliefs karstiques, avec pour seul voisin un vieux moine qui s’est fait construire une maison plus accessible que le monastère en haut de la montagne.
Je suis surprise au premier bruit d’explosion. C’est que le moine en dépit des interdits officiels et toute notion environnementale (le développement durable, mais pour quoi faire ?) est en train d’exploiter la roche de la colline. Ko Myo, Natacha et Anne-Cécile ont prévu d’aller négocier avec le moine, pas question de jouer la carte de la loi et de l’autorité, cela n’aboutirait pas.
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Je les suis à la scierie, toute l’équipe part voir si les planches de pingado (bois de fer) et d’acajou birman sont arrivées.
François vérifie le système de séchage lent qu’il a appris aux Birmans. Ça discute ferme, pour assurer qualité et délai. Demain, il ira directement dans la forêt sélectionner les grumes.
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Sur le chantier, j’observe les ouvriers concentrés, je soigne une petite fille qui est allée vérifier que les cailloux sont plus durs que la peau, je discute avec l’équipe. A ce sujet, l’objectif initial de était de proposer du travail aux Karens des villages voisins. Ces populations ont dû gérer plus de 50 années de guérilla avec la junte. Aujourd’hui ils sont en plein cessez-le-feu et le traité de paix en cours de négociation, il sera peut-être signé en mai prochain.
Mais voilà, travailler ne les intéresse pas. Ils sont bien dans leur village, en auto-suffisante. C’est vrai pourquoi se fatiguer si on n’a même pas besoin d’aller au marché à quelques kilomètres ? La fine équipe propose alors à d’autres villages du côté de Yangon qui sont demandeurs, malgré les 6 heures de trajet. Et c’est toute une équipe qui arrive en force. Pour apprendre un métier, pour gagner assez d’argent pour faire toute leur famille. Je vois que parfois femme et enfants ont suivi, et tout le monde dort le soir sur le chantier.
Les discussions et le temps passé sur le chantier me donnent à voir un peu de la vie au Myanmar.
L’entraide et la solidarité entre villages sont omniprésentes. Les maisons sont ouvertes à tous, la notion d’intimité est différente du monde occidental. Par exemple, les Birmans n’aiment pas être seuls et dorment toujours à plusieurs, que cela soit dans une maison ou un abri précaire. Ils font preuve d’une curiosité bienveillante et de gentillesse vis-à-vis des autres, ce qui se ressent dans leur sens de l’accueil.
La consommation est en train d’arriver dans les villes, avec la notion de possession, et malheureusement aussi un peu d’agressivité latente qui s’invite.
Mais pour l’instant, il est indéniable que les Birmans ont envie de partager et de prendre leur temps pour tout, et ça, c’est moins facile quand on dirige un chantier.
François est globalement content de son équipe, des gens dévoués et fidèles mais fiers. Pas question de leur faire remarquer frontalement une erreur.
Pour Anne-Cécile et Natacha, leur expérience des interlocuteurs birmans n’est pas aussi rose. Elle parle d’une certaine mauvaise foi sous-jacente voire d’une certaine fourberie. Son de cloche que j’ai déjà entendu par ailleurs.
Évidemment, il est bien trop facile de cataloguer les gens ainsi. C’est juste le reflet des expériences de ceux qui depuis une dizaine d’années ont fait le pari de monter des business ici. Je suis pleine d’admiration envers ceux qui se lancent dans de telles aventures, surfent sur la vague de l’ouverture récente du pays, et contribuent au développement d’une région.
Et tous me parlent de gens qu’ils ont croisés ici, de ceux qui après un passage en Birmanie ont pris des décisions fortes dans leur vie. Un avant et un après Birmanie.
Je ne sais quel sera mon après Birmanie, il y a des changements qui ne se remarquent pas, et qui se nomment encore moins.
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