Parce qu’on ne se le dit jamais assez…
Pokhara, Népal, mardi 3 juin 2014.
Il est 4 heures du matin, je viens de recevoir un message. David est décédé. Il avait été l’un des metteurs en scène de la dernière pièce de théâtre dans laquelle j’ai joué. Nous étions une belle équipe. Des amis. Il avait appris la rechute d’un cancer un mois avant la première. Il avait bataillé depuis et il allait mieux. Du moins la dernière fois que je l’avais vu. Mais la lutte avait repris ces derniers temps, je n’en savais rien. Samedi soir, il est mort en toute discrétion.
Mon visage ruisselle de larmes en écrivant ces lignes.
J’avais décidé d’aller ce matin voir une dernière fois le soleil se lever sur les balcons de l’Himalaya, mais à quoi bon regarder vers le haut si je n’ai pas été là pour ceux à côté de moi. Je lui avais fait signe il y a un bout de temps, je n’avais pas eu de réponse et n’avais pas insisté, lui laissant la liberté de se manifester. Mais c’était en fait une grande fatigue qui l’en empêchait.
Sa maladie avait été un des éléments déclencheurs du magnifique voyage que je suis en train de vivre. David et moi avions le même âge. Il réveillait dans mon coeur la liste des amis chez qui le cancer s’était invité, c’en était trop. Je me suis que si un jour je devais moi aussi me retrouver sur un lit d’hôpital, je ne voulais pas me dire « Ah si seulement, j’avais… ». J’ai alors voulu faire quelque chose d’important pour moi, sans attendre un ‘plus tard’ hypothétique. D’autres aspirations sont venues se greffer, et ce quelque chose fut finalement le tour du monde.
Quand on me demande pourquoi je suis partie, c’est cette histoire que je raconte. Et je ne le lui ai pas dit.
Un grand voyage donne beaucoup à réfléchir. Coïncidence ou pas, depuis quelque temps, je pensais aux amis, à ceux à qui je n’ai pas dit l’importance qu’ils ont à mes yeux.
La mort de David me crie au visage que nous n’exprimons pas suffisamment aux amis qu’ils comptent pour nous. Qu’ils peuvent compter sur nous. Faisons-nous signe en toute simplicité quand nous en avons besoin ? Savons-nous être présents ? Osons-nous dire le bonheur de notre amitié et la force de notre amour ? Que cela soit par les mots, les gestes, le temps passé ensemble, les services rendus, les petites attentions, qu’importe la manière de « dire » ce que nous avons dans le coeur.
Mes yeux sont tout embués, mais au milieu des larmes, je me dis que David m’aura fait deux cadeaux sans le savoir. Par sa maladie, l’envie de ce grand projet. Par son départ, la remise de mes priorités au bon niveau. À mon tour de savoir partager cela. Bien sûr, ce sont des messages souvent entendus, vivre maintenant et pleinement, ne pas attendre, être présent aux autres, dire aux amis que nous les aimons, pouvoir recevoir… Mais on a beau le savoir, on ne le fait jamais assez.
Je regarde la brume couvrir la ligne d’horizon et soustraire les sommets à mon regard. Comme un ami qui s’en va et dont la silhouette s’estompe doucement.
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