Monk Business
Les moines de Birmanie, un sujet épineux et plus que d’actualité, un sujet qui me questionne et sur lequel je n’arrive pas à me faire un avis. Il est complexe et ne se résume pas à une chronique sur un blog. Sans prétendre à une quelconque vision journalistique, voici quelques facettes que j’ai perçues en quatre petites semaines de voyage ici…
Première impression : les moines en pourpre et les nonnes en rose sont présents, toujours là, posés, prêts à discuter, prêts à poser aussi. Toujours avec le sourire. Faut avouer, pour les amoureux des échanges sereins et des jolies photos, c’est le bonheur !
Deuxième impression : mais quand ils ne méditent pas, qu’est ce qu’ils font de toute la journée à part se la couler douce ? Il faut dire qu’ils ne gèrent pas grand-chose, il y a du monde autour d’eux pour s’occuper de leur vie au quotidien. Et surtout, que font-ils pour la communauté quand on voit tous ces Birmans qui font la queue pour faire part de dons conséquents, en échange d’un joli papier estampillé de tel ou tel sanctuaire ou de « mérites » (schématiquement, c’est un système de bons points assurant un meilleur karma) ? Ceci ne serait pas choquant si ce n’était la proportion des moines et la masse financière qui circule…
Petit clin d’œil business autour des lieux de culte avec le Mont Popa, qui regroupe plusieurs sanctuaires en haut d’un rocher à 1 200 mètres. Une fois arrivés là haut, les fidèles se voient alpagués par une dizaine de personnes qui les haranguent pour faire la pub de leur Buddha. Cela donne un mélange entre la rue de la Huchette et une fin de marché où ça brade à tout va. Evidemment, il y a de belles urnes pleines à craquer de billets.
Et quelques pas plus loin, je me marre franchement quand je comprends le « monkey business ». C’est qu’il y a plein de petits singes facétieux sur ce Mont Popa. À la montée, des vendeurs proposent des sachets de graines pour les nourrir, et, à la descente, d’autres demandent de l’argent en échange du nettoyage des marches pleines de déjections, ce qui est apprécié vu qu’on marche pieds nus dans les temples. Bref c’est un joli cercle sans fin qui brasse pas mal de petites coupures.
Troisième impression. C’est sûr, c’est facile de critiquer tout système religieux si l’on ne considère que la partie financière. Je crois qu’il y aurait aussi de quoi écrire sur les biens de l’Église catholique, mais ce n’est pas le sujet puisqu’en l’occurrence ici c’est plutôt 99% bouddhisme. Sans prévenir, je suis profondément touchée par une phrase des « Chroniques Birmanes » de Guy Deslile, toujours lui, quand il raconte ses 3 jours dans un temple pour y découvrir la méditation. « Vu d’ici on arrive à avoir la douce sensation de se trouver exactement là où il faut être. Et tous ceux qui sont de l’autre côté participent à notre démarche et nous encouragent à rester. »
J’aime cette idée de soutien, d’encouragement, de participation depuis « l’autre côté ». Comme si deux grands flux se rejoignaient et poussaient dans la même direction. L’aide et les dons prennent alors un tout autre sens.
Quatrième impression avec la noviciation à laquelle je suis invitée à Nuyang Shwe près du Lac Inle. C’est un honneur pour les familles et une chance pour l’enfant qui entre au temple, pour un temps court ou long, c’est non défini. Le monastère a un véritable rôle dans l’éducation, puisqu’au travers des enseignements bouddhistes les jeunes apprennent à lire et écrire, mais aussi une forme de discipline différente.
Les monastères sont aussi de nouveaux lieux d’accueil pour les orphelins ou de nouveaux tremplins pour les ex-taulards. Ce qui donne parfois des moines tatoués en deux roues, version grosse cylindrée, évidemment les fondements bouddhistes en prennent un coup. Il n’en reste pas moins l’accueil et l’éducation, en CDD ou CDI, c’est libre.
La cinquième impression est la plus complexe. Je l’entrevois a travers l’actualité du moment et les discussions avec ceux qui travaillent ici en ONG. Des courants violents et extrémistes dans le bouddhisme birman, a priori depuis 2007 avec l’infiltration de la junte. On peut parler de fascisme vu les discours et les persécutions des Rohingyas (minorité ethnique apatride) et des musulmans. Par exemple, interdiction de mariage mixte, pas plus de 2 enfants par famille musulmane pour la version soft. Exécutions pour la version hard.
Au moment où j’écris ces lignes, cela chauffe sérieusement avec les ONG dans le nord-ouest du pays qui ont été obligées de quitter la zone pour certaines, ou qui essayent d’intervenir malgré tout pour d’autres. Les Occidentaux que j’ai rencontrés sont plus que remontés sur le sujet, et il y a de quoi. Pour vous donner une idée, Wirathu, un moine leader d’un mouvement nationaliste, a fait la une du Time Magazine : « The face of Buddhist terror ».
Évidemment, c’est un des courants, pas une généralité. Mais les conséquences sont réelles.
Alors, que penser du bouddhisme birman ? Le sujet est éminemment complexe, je ne suis pas journaliste, je manque de billes. Confrontée au peu que j’ai partagé, je suis touchée, perplexe, choquée, attristée, révoltée.
Mais je continue de sourire et d’adresser un sonnant Mingalaba aux moines et nonnes qui croisent ma route.
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Articles du Time :
http://time.com/38249/burma-anti-muslim-laws/
http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,2146000,00.html
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