Alexis, « tout donner à Dieu »
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Pour moi, Jérusalem n’est pas un lieu qui se « visite ». J’ai envie de me plonger dans cette ville par trois fois sainte, de suivre les chemins que d’autres ont empruntés, de me laisser emporter par ce que je saurai y trouver.
Avant d’arriver ici, je suis entrée en contact avec les religieuses d’une communauté chrétienne, elles me proposent de les rencontrer dès mon arrivée. Ce que je fais.
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Je sonne à l’impressionnante porte en bois d’un bâtiment chargé d’histoire. Quand la porte s’ouvre, je m’attends à saluer une sœur d’un certain âge, le teint un brin gris et pourquoi pas avec de la moustache qui pique tant qu’on est dans le cliché. Perdu ! Sœur Lysane est devant moi, fraîche avec ses 30 printemps pimpants, je me croirais dans un film de Pedro Almodovar. Elle me demande tout de go si je veux assister aux vêpres. Euh, oui, bon, pourquoi pas. Je la suis dans les couloirs en pierre. Jusque dans une église construite là où fut jadis le Palais de Ponce Pilate, le long de la Via Dolorosa. Le cadre est posé.
En sortant, les religieuses m’invitent à partager le dîner avec leur petite communauté. C’est un moment délicieux, plein de délicatesse et d’attentions aux autres.
A la fin du repas, arrive un grand gars bronzé, le cheveu mi-long, le genre de celui qui cherche sa planche de surf. Il salue tout le monde avec un accent qui sent bon le soleil, et les convives lui répondent en chœur « Bonsoir Père Alexis ! ». Je n’y crois pas. C’est le prêtre ? Après Sœur Lysane, c’est donc au tour du Père Alexis. J’adore !
C’est ainsi que je fais connaissance d’Alexis, prêtre toulonnais venu de l’île Maurice et de passage à Jérusalem, facile pour s’y retrouver.
Il me présente le Jérusalem d’il y a 2000 ans et celui d’aujourd’hui, celui où il est venu passer une année sabbatique. Ah bon, un prêtre peut prendre un congé sabbatique ? Mais ça se passe comment ? On arrête d’être payé si tant est qu’on le soit ? Et puis d’abord pourquoi donc ?
C’est amusant de parler de nos choix de vies, de nos moments de césure respectifs et des voyages que nous vivons. Il se prête, sans mauvais jeux de mots, facilement et gentiment au jeu des questions réponses, même quand j’amalgame malgré moi mission de prêtre et travail salarié.
Au cours de nos discussions, ce que je trouve particulièrement passionnant c’est le chemin qui amène un homme à décider un jour d’être prêtre et de « tout donner à Dieu », puisque c’est son plus loin à lui, sans hésiter.
Il me raconte son enfance à Maurice, la famille aux immenses ramifications, les levers de soleil seul sur la plage, une adolescence pas vraiment calme, les 400 coups avec les copains, et puis un crash de moto. Ce type d’accident grave qui vous laisse dans une chambre seul et longtemps, qui vous fait réfléchir, qui vous pose la question du sens de sa vie, celui qui fait dire il y a eu un Avant et un Après.
Son adolescence prend alors un autre virage. Il me parle de rencontres inattendues et de « témoignages bouleversants ». Cette amie qui revient de Calcutta après s’être engagée chez les Sœurs de Mère Teresa, « elle était rayonnante ». Ce prêtre qui s’occupe d’handicapés à Madagascar. Ou encore celui « qui mettait le bazar » par ses interpellations et ses questions.
Petit à petit, Alexis entend et comprend ses aspirations profondes : il veut aider les autres, les plus démunis, les oubliés de la société. Dès qu’il le peut, il s’investit, se donne. Auprès de mourants, de sans abris, de prisonniers. Il est heureux.
Et il a beaucoup à apporter ! « J’avais la conviction profonde que ma vie était de servir, que le bonheur et la joie véritables se trouvaient dans le fait de donner plutôt que de recevoir. »
Un peu plus tard, il part quelques semaines à Calcutta. Un autre Avant-Après. Un voyage longuement préparé, avec des amis qui comme lui se mettent au service des autres entre l’école, les devoirs, et la prière. Car la prière tient une place de plus en plus prépondérante.
Dieu est présent dans sa vie, mais pas au point d’être prêtre. Comme il le disait, ou plutôt le priait : « Seigneur, je veux bien être fou, mais pas prêtre. » Pourtant la question peut-être posée, le jour de sa naissance, une grand-tante fort éloignée avait écrit ce mot : « Un enfant vient de naître, il s’appelle Alexis. Il sera prêtre un jour. » On a beau être à Maurice, faire que la religion tienne une place très importante dans sa vie, quand même… prêtre, pas question !
Il continue dans sa vie mauricienne entre école et services. Une bourse d’étude, si dure à décrocher, et le voilà à Paris pour des études en Actions Sociales. Le choc. La ville. Les règles incomprises. L’agressivité. Les railleries antireligieuses et anticléricales. Les gestes d’aide mal interprétés. Il essaye de trouver une voie, mais plus il se bat, ou plutôt se débat, plus il sombre.
Dans cette pesante noirceur, une occasion se présente, il ne le sait pas, mais ce sera une belle lumière. Il part plusieurs mois à Medjugorje en Bosnie dans une association humanitaire, lieu où serait apparu Sainte Marie. Tout prend sens. Avec bonheur. C’est la guerre, mais son cœur est à la joie. Car en plus de son rôle humanitaire, il se passe « une véritable rencontre intérieure avec la Vierge Marie », il exulte. Il est là, pleinement.
À nouveau un autre Avant-Après. Très fort. A tel point qu’il parle d’un « passage foudroyant » en Bosnie. Ses proches viennent le rencontrer, certains restent. Il veut témoigner. « C’était une évidence que tout ce que j’avais reçu ne devait pas être gardé pour moi seul, ne devait pas rester cacher. » Il se sent « appelé ». En l’écoutant, je vois ses yeux qui rayonnent, je ne doute pas de cet « appel », même si cela me semble fort étrange, ou plutôt étranger.
La vie à Paris puis de nouveau à Maurice est alors tout autre. Il veut avancer dans cette foi et ce don de soi. Il parle souvent de « donner au point de s’oublier, de ne plus s’appartenir ». Une mission à Madagascar auprès d’handicapés vécue comme un temps de discernement, et là, l’évidence : il sera prêtre.
C’est sûr, en l’écoutant, je me dis qu’il avait déjà décidé cette voie depuis un bout de temps. Et non, c’est après coup que tout se relie et se relit ainsi.
Je pense à un S.J. bien connu qui disait “you can’t connect the dots looking forward. You can only connect them looking backwards. So you have to trust that the dots will somehow connect in your future.”
Pour revenir à Alexis, j’aurais cru qu’il était facile ensuite de rentrer au séminaire. Que nenni. Les portes ne s’ouvrent pas facilement, du moins à Maurice. Il lui faut prendre son mal en patience, alors en attendant qu’il puisse suivre le chemin qu’il souhaite, il envisage de fonder avec des amis une communauté de prière et de services. « Dieu, qui se sert de tout, écrit droit avec des courbes. » Cette ligne-là l’emmène à nouveau en France de manière inattendue pour quelques jours, mais une porte s’y ouvre, et il pousse celle … du séminaire.
Six ans plus tard, il est prêtre à Toulon. C’était en 2004.
Depuis l’an dernier, il a pris un temps pour lui, en Terre Sainte, celui de la réflexion et du re-questionnement. Sa foi et ses convictions s’en trouvent renforcées. Il partage, son histoire, ses émotions qu’il ne cache pas, les larmes de joie sont souvent là. Je ne sais plus à propos de quoi, il glisse un « j’ai le cœur qui se dilate. » On n’en doute pas un seul instant.
Dans une semaine, nos voyages respectifs prendront fin. Je vais vers Paris. Il est attendu dans le Var. Au bord de la mer. J’espère que les vagues de l’océan Indien arriveront à se frayer un passage à Gibraltar pour lui apporter de l’île Maurice toutes les saveurs qui l’ont amené jusque là.
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