222 jours plus tard
222 jours, si si, pour de vrai.
Pour être exacte, j’aurai voyagé 223 jours dixit le calendrier, mais 222 à l’arrivée puisque 24 heures sont passées à la trappe de l’espace temps au beau milieu du Pacifique pour cause de ligne de changement de date.
17. C’est le nombre de kilos de mon sac à dos en arrivant à Paris. Soit 5 de plus par rapport au départ. Qui compensent presque les 8 que mon corps a égarés je ne sais trop où en Asie.
La troisième chose que je me suis amusée à compter, ce n’est pas le nombre de pays traversés ou de personnes rencontrées sur la route, non, cela n’a pas de sens. Ce sont les nuitées. Pas loin de 222 d’accord, jusque-là tout va bien. Mais ce qui m’impressionne c’est que je les ai passées à peine pour la moitié dans des hôtels ou assimilés : j’ai passé quasiment 20% de mon temps sur un bateau (ça c’est normal, ça se saurait si l’Atlantique se traversait rapidement) et… 30% chez des gens qui m’ont invitée chez eux ! Des amis certes, des amis d’amis d’amis aussi, mais surtout des gens que je ne connaissais pas la veille. Je ne l’ai pas spécifiquement recherché, cela s’est fait en toute simplicité, dans un immense élan d’accueil et une générosité incroyable. Et parfois aussi avec une certaine déception partagée de ne pas avoir pu accepter toutes les invitations qui m’ont été faites. Au-delà des chiffres, c’est cette beauté de la relation à l’autre que je retiens.
À propos de chiffres, je ne me lasse pas d’apprécier le rapport au temps qui est bien différent. Pendant ce voyage, mon échelle de temps est passée petit à petit du mois à la semaine, puis de la semaine à 2-3 jours.
Quand on est enfant, l’horizon de temps est à la journée. Il passe à la semaine avec l’école, les mercredis et les week-ends donnant le rythme. Ensuite ce sont les vacances scolaires et les fameux bulletins trimestriels qui donnent le tempo. Puis l’on finit par compter en années. Et encore plus loin quand les responsabilités obligent à se projeter constamment.
Après ce voyage où j’ai retrouvé la joie et la liberté folle de vivre pleinement le temps présent, je me dis peut-être naïvement qu’il ne tient qu’à moi de ne pas laisser s’élargir cette échelle raccourcie.
Mais les chiffres ne sont rien à côté des mots.
Pendant ce voyage, j’ai découvert le bonheur de l’écriture : jouer avec les mots, les faire vibrer et se répondre, susciter une émotion au détour d’une phrase, et… rechercher les moments de solitude pour me délecter de ce plaisir nouveau.
Écrire m’a permis de prendre du recul et de porter un autre regard sur ce que je vivais. J’ai aimé regarder, marcher, rêver… tout en cherchant les mots qui parleraient le mieux de l’émotion ressentie. Et puis, quelle joie de partager ces rencontres du bout du monde grâce aux chroniques publiées !
J’ai écrit dans des avions surchargés ou dans des bus bringuebalants, dans des beaux hôtels aux lobbys d’un autre temps ou sur une toile cirée collante d’un petit bouge, sur un rondin en bord de mer, dans la chaleur des plaines asiatiques ou dans le froid des montagnes enneigées, qu’importe, les mots m’ont à chaque fois emmenée loin, très loin.
Et aujourd’hui, je compte bien continuer d’explorer cette voie-là.
Evidemment l’écriture n’est pas la seule découverte. Il en est de fort personnelles, dont j’évoquerai certaines d’entre elles ici : une nouvelle forme de relation aux autres et de la rencontre, l’instant présent vécu pleinement, une liberté incroyable au service de l’écoute de mes propres aspirations, le bonheur et le pouvoir de la solitude, l’apprentissage du risque qui n’est pas là où je l’attends, une curiosité exacerbée et l’acceptation des surprises bonnes ou mauvaises, ou encore la prise de conscience pleine de tendresse de mes propres limites.
J’étais partie avec une question en poche « Quel est le plus loin où vous êtes allés ? », je reviens avec bien plus de questions et tout autant de réponses aux interrogations que je ne m’étais pas formulées. Je retiens cela de la force du voyage en solitaire.
D’ailleurs, soyons honnête, si j’ai voyagé seule, je ne l’ai pas été.
Que de rencontres, des petites ou des grandes, mais toujours belles et riches ! Je me souviens d’avoir été obligée de me cacher pour dîner seule, tellement j’avais besoin de digérer non pas le repas mais les émotions de la journée, tant il y avait eu de moments forts.
Le partage grâce aux chroniques du blog m’a donné une force que je n’imaginais pas. Impossible de se sentir seule quand je me sens portée par tous ceux qui me suivent !
Il faut aussi noter que les moyens de connexion, parfois dans des endroits surprenants, ont permis quelques rendez-vous en visio, qui, de par leur caractère exceptionnel et de courte durée, étaient pleins de joie et de densité à la fois. Ce n’était pas un échange de nouvelles du quotidien, c’était un moment de partage, de qualité, un moment suspendu.
Enfin, les mails prennent une toute autre saveur. Ce n’est plus le flux incessant et excitant que je connaissais. Chaque message devient une lettre qui aurait mis du temps à arriver, je prends le temps de la savourer et d’y répondre. Comme une relation épistolaire d’un autre temps, pourtant pas si loin.
Je ne me suis jamais sentie seule, même si je l’ai été.
Je tourne les pages de mon carnet de voyages, je relis les notes des portraits que je n’ai pas publiés, les adresses griffonnées sur un coin de page, au milieu de dessins au trait mal assuré, et les phrases écrites sur une seule page pour ne pas les oublier. J’ai envie d’en partager quelques-unes ici, elles disent beaucoup pour moi de ces rencontres du bout du monde :
« L’humanité est fondamentalement bonne », je me souviens d’avoir écrit ces mots alors que la générosité de l’accueil polynésien était à son comble. Puis trois petits mots ont été ajoutés quelques mois plus tard, pour donner : « L’humanité est à la base fondamentalement bonne ». C’est ce qu’on en a fait qui fait que nous en sommes là aujourd’hui, quel que soit notre « là » à nous. Comment ne pas perdre cette simplicité et cette douceur des rapports humains qui sont rendus possibles par un tel voyage ? Quel est mon seuil de tolérance pour ce « là », comment j’y contribue malgré moi ? Qu’est ce que je suis prête à faire pour que cela change ?
« On ne sait pas la puissance de ce que l’on donne ». Je l’ai expérimenté, dans ce que beaucoup m’ont apporté peut-être sans le savoir, et réciproquement, dans les retours que d’autres m’ont faits et qui m’ont étonnée. Quelle force et quelle joie peuvent être ainsi données !
« J’ai le cœur qui se dilate ». Cette sensation m’a habitée au fur et à mesure des jours de voyage. Comme une impression persistante d’être entourée de bienveillance, voire d’une certaine forme d’amour.
Mon carnet est truffé de réflexions au milieu de bonnes adresses. Je ne voudrais pas donner l’impression de philosophie de comptoir au bar du rendez-vous des voyageurs. Mais oui, partir et rencontrer l’autre font réfléchir et chamboulent, pour quiconque est prêt à prendre ce risque-là.
Cela fait quelque temps que je suis arrivée en France. Je n’ai pas envie de dire « rentrer en France ». Je préfère « arriver », pas une arrivée finale, mais l’arrivée à une étape. Ce tour du monde n’est pas fini, j’ai envie de croire qu’il ne tient qu’à moi de le vivre d’une autre manière. Cette manière-là est en train de se dessiner, doucement, subrepticement, mais chut… Le fil est ténu et solide à la fois, je vais voir où il m’emmène. Comme ces rencontres avec ces gens croisés sur le chemin qui m’ont invitée et embarquée là où je ne pensais pas aller, je les ai suivis et ce fut étonnant.
(à suivre) donc.
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